Le portail du XII siècle

Le portail roman, en avant-corps protégé par un glacis, est le joyau de l’ architecture extérieure de l’église Saint Aubin de Bazouges par le foisonnement et le dynamisme des  sculptures de ses chapiteaux ; il est datable de la seconde moitié du XIIème siècle: de ses archivoltes à bâtons rompus, ses pointes de diamant, ses tores moulés, ses huit colonnettes aux chapiteaux historiés d’animaux fantastiques affrontés, aux corbeilles richement sculptées de feuilles d’acanthes enroulées, de feuillages liés et repliés, et de tiges entrecroisées, neuf siècles vous contemplent: l’intrication des sculptures se conjugue avec une symétrie, à l’œil, qui cèle en fait une diversité des formes. Quelle merveille émouvante, vivement colorée à l’époque, au fronton d’une église de village, quel manifeste de la ferveur et de l’humble grandeur de la communauté de Bazouges au travers des siècles ; car le portail physique s’avère également métaphysique : à l’extérieur, la vie rude de ce monde ; à l’intérieur, la paix du Ciel. Les dentelures des archivoltes extérieures dentelées illustrent le monde sinon l’enfer, les oves (moulures en forme d’œufs) de l’archivolte inférieure, la porte du Ciel.

Une église de village comme Saint-Aubin, avant d’être un monument historique est un lieu spirituel, reliant le monde à la Cité du Ciel. C’est déjà ce qu’illustre son portail : les dentelures des archivoltes, les animaux fantastiques affrontés des chapiteaux des piliers adossés, les mascarons grimaçants qui surplombent symbolisent le monde terrestre extérieur où règne le mal, les oves douces de l’archivolte inférieure encadrent la porte étroite de l’église qui ouvre sur le ciel.

Mathieu 7. 13/14 : « Entrez par la porte étroite. Car large est la porte, spacieux est le chemin qui mènent à la perdition, et il y en a beaucoup qui entrent par là. Mais étroite est la porte, resserré le chemin qui mènent à la vie, et il y en a peu qui les trouvent. »

Enfer et paradis se côtoient mais se distinguent à l’orée de Saint-Aubin. Pour les fidèles bazougeois médiévaux, la lecture des sculptures du portail est une Biblia pauperum, un livre d’images qui dispense en symboles ce que recèle la lecture des textes en latin pour l’élite.   

 On se laisse à imaginer Saint Vincent de Paul, réputé l’avoir parcouru au XVIIème, entrant par cette entrée florissante contrastant avec la simplicité austère des élévations et murailles intérieures ; mais ce dernières  portaient peut-être à l’origine des fresques murales polychromes dont à ce jour ne subsistent des traces qu’à l’arrière supérieur du retable de la vierge.

On revit en imagination l’étonnement émerveillé du grand peintre Nabi et historien de l’art religieux Maurice Denis, proche ami d’Adrien Mithouard et invité au Château de Bazouges, lorsque, assistant avant-guerre à la messe dominicale, il pénétrait par le portail millénaire et contemplait la charpente en carène renversée de navire, historiée sur merrains de chêne, assemblés comme les douelles d’un tonneau, et peints en splendeur. Le livre d’image se perpétuait, sous une forme différente, du XIIème au XVIème siècle.  

Les rouleaux des archivoltes, adornées de tores (moulures en demi-cylindre) et de bâtons brisés, retombent avec élégance sur les chapiteaux sculptés des colonnettes adossées à la muraille. 

L’ensemble du portail atteste que l’église n’a pas été agrandie dans sa longueur : l’élargissement au XVe siècle, évoqué par Sébartien de la Bouillerie est contesté par les architectes contemporains.

Le portail et ses archivoltes est surmonté par une fausse galerie supportée par 17 modillons : des corbeaux sculptés, caractéristiques des églises romanes. Mais ils sont l’œuvre de l’architecte DELARUE qui en juillet 1850 fait appel à Le Monnier, maitre maçon à Bazouges pour effectuer en gros œuvres ces restaurations et modifications. L’ensemble de la partie haute est « dans le style roman ». Pour les restaurations, l’architecte exige que les restaurations sur les chapiteaux des colonnes soient effectuées dans le plus grand respect des anciennes sculptures. Elles ont semble-t-il été confiées à l’architecte diocésain VIVIER : Les modillons sont sculptés de mascarons à visage humain, semi humain ou grotesque. La continuité de la verve et de l’imagination du sculpteur moderne , inspirée de modèles romans,  transparait dans ces sculptures qui, en tant que signes de la Biblia Pauperum ne visent pas à l’aspect comique mais à poursuivre l’illustration de l’enfer et ses damnés. 

L’architecte DELARUE détruit le couronnement de la porte d’entrée qui sera remplacé par une fausse- galerie de style roman et, surtout, procède à la destruction du porche qui couvrait le portail, lieu probable de rassemblement du conseil de fabrique et des assemblées de fin de messe. Il qualifie ce porche de « mauvais hangar qui masque l’entrée », alors que tout concoure actuellement à considérer que ce porche était ancien et probablement roman : le grand corbeau au nord du portail devait porter une panne faitière de ce porche et montre son élévation.  Le plan cadastral de 1824 (parties surlignées en jaune), outre qu’il permet de voir, au nord-est, l’ancienne sacristie supprimée en fin du XIXème siècle et, au midi, le contrefort géant supprimé par l’architecte DELARUE en 1850, permet de constater la surface d’implantation de ce porche, très supérieure aux marches actuelles mises en œuvre par l’architecte Henri LAFILLEE en 1900. A tout le moins, ce porche protégeait les sculptures, ce qui n’est plus le cas depuis 1850 où il est en contact direct avec les éléments, l’érosion hydrique et éolienne.

La fausse galerie et ses modillons

Les chapiteaux des colonnettes : leurs corbeilles, entre astragale d’appui et abaque sommitale, sont historiées d’animaux fantastiques affrontés, ou richement sculptées de feuilles d’acanthes enroulées, de feuillages liés et repliés, de tiges entrecroisées. Certains détails ont été ainsi restaurés par l’architecte Vivier en 1850, mais le temps a depuis poursuivi son travail d’érosion et de délitement des pierres tendres. La mairie de Bazouges et l’association Cœur de Bourgs ont commandité un diagnostic pour remédier à ces dégradations et protéger le portail. 

Le cabinet ARTHEMA, sous la supervision de l’architecte Leo CANY a constaté le mauvais été actuel en octobre novembre 2023 : feuilletage, desquamation, alvéolisation, fissures, lacunes des pierre liées à l’érosion hydrique et éolienne,  à des causes chimiques (sels), végétales (mousses) voire aux restaurations du XIXème siècle.  Il évoque la nécessité de procéder à une conservation sinon à une restauration.

Il a en outre noté « la trace la trace d’au moins deux badigeons distincts et d’écailles de polychromie verte, rouge et jaune » qui conforte l’hypothèse d’un portail polychromé, tout comme l’intérieur des murailles de l’église, dès l’époque romane. Le cabinet confirme, par l’étude des pierres, le remplacement de colonnes ou parties de colonnes, l’établissement de la fausse frise et des modillons, le remplacement de l’arc supérieur et de l’arc inférieur du portail portant les pointes de diamant la frise d’oves et un travail très fin de bouchons de pierre pour restaurer tailloirs et chapiteaux. A noter, notamment pour le remplacement des pierres de l’arc inférieur du portail qu’il prive de la présence antérieure d’éventuels graffiti.

Le portail du XIIe avant construction du perron (photo de 1890 de Médéric Mieusement, 1840-1905)

Le portail de Saint Aubin en 1890 ( photo de 1890 de Médéric Mieusement, 1840-1905)

Les 5 photographies par Sébastien Médéric Mieusement de l’église Saint Aubin figurent sur les bases 

Mérimée (notice n° PA00109678) :  https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/PA00109678

Monumentum: https://monumentum.fr/monument-historique/pa00109678/bazouges-cre-sur-loir-eglise-saint-aubin

Sur Séraphin-Médéric Mieusement, et son œuvre photographique:  https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9raphin-M%C3%A9d%C3%A9ric_Mieusement