Le Tour du Pilori, appelée également Tour de la Place de l’église, est désignée ainsi parce qu’elle voisinait avec le pilori des seigneurs de la Barbée, lui-même fort proche du pilori des seigneurs de Bazouges, placé initialement à une fourche en contrebas de la rue Basse, actuelle rue du Château (de Bazouges). Il est fort probable que ces deux poteaux de justice aient été enlevés à la Révolution Française.
Nous avons peu de traces du bâtiment qu’elle flanquait initialement ; elle faisait office, comme souvent à l’époque, de lieu d’accès accoté à l’édifice. Elle contient par conséquent, pour cet usage, un escalier à vis en pierre dont l’élégante hélicoïdale apparait dès le seuil franchi. Une maison voisine de la rue du Château comporte des vestiges (colonne centrale, marches de réemploi) d’un tel escalier.
Par la suite, comme en attestent les cartes postales présentées ci-après, elle fut accolée à des maisons d’habitation postérieures dont les façades donnaient sur la nouvelle rue principale, la Rue du Maine qui détrône à compter du XVIIIème siècle la rue Basse, grande rue historique du bourg,
reliant Durtal à La Flèche « de temps immémorial », dénommée également au XVIème siècle « grand chemin comme l’on va de Paris à Angers ».
La Tour du Pilori se situe alors exactement à la séparation
de ces deux voies et jouxte la Daufardière, le ruisseau frontière circumvoisinait et séparait la Sénéchaussée de Baugé et celle de La Flèche : il forme en quelque sorte un amer terrestre au confluent de deux rues principales successives. Si les maisons riveraines dont les fondations voire les murs sont du XVIme siècles, refaçadées au XVIIIème , masquent la Tour, son toit et son guirouet sont pleinement visibles du Loir.
Le destin de la Tour du Pilori est lié à la réflexion des édiles de Bazouges, portant sur l’aménagement et l’embellissement de la Place de l’église Saint Aubin. La construction de bâtiments sur la place de l’église fut historiquement un enjeu politique majeur pour les différents fiefs intriqués autour de l’église ; ces derniers se sont longuement battus pour étendre leur ascendant sur Saint-Aubin, cœur spirituel de la communauté, de « tradition immémoriale ».
Gérard d’Ambrières dénombre au moins 9 fiefs au XVIème siècle, intriquant leurs maisons et propriétés foncières : au-delà des fiefs de la Barbée et de Bazouges qui ne cessèrent de batailler au contentieux plusieurs siècles durant pour la possession de l’église Saint Aubin, la place de l’église est également occupée ou ceinturée par les fiefs de la Cure, du Chesne, de Launay, de la Masselière, de la Queue à la Hardouine et de Verrières.
La disparition du cimetière sur la place au Nord, qui s’étendait au sud à l’emplacement de l’actuelle sacristie et peut-être également sur le parvis face au portail, libère un espace qui est occupé par des
maisons ; ces dernières sont remplacée, a priori au XIXème siècle par plusieurs bâtisses jouxtant l’église et la cachant pour partie : le muret actuel rue du Château, accoté à la Tour, marque l’emprise de ces maisons et l’étroite ruelle qui subsistait entre elles et l’église.
Ce n’est qu’au terme d’une patiente politique d’acquisition que les élus de Bazouges parviennent à libérer la place de l’église des deux maisons existantes, récentes et extrêmement vétustes. La Tour du Pilori devient un édifice isolé et reste préservé car inscrit au titre des sites.
Les édiles commencent par acheter (délibération des 17 juillet et 9 novembre 1956) la « maison de Mme GORIN » pour « démolition ultérieure » afin de « dégager les abords de l’église et mettre celle-ci mieux en valeur ». La maison est occupée par un locataire, y tenant commerce, M PUISARD, dont le bail est résilié (délibération du 21 avril 1961), à la demande de ce dernier.
Carte postale de la tour du Pilori et des maisons en 1907.
Ce n’est qu’en 1966, que la mairie souhaite acquérir la seconde maison, vétuste, appartenant à M Evariste GAIS, Place de l’Eglise, toujours pour démolition (délibération du 3 février 1966) : il s’agit, notamment toujours par sa destruction, « d’agrandir la place publique », et de « dégager la vue sur l’église, monument classé ». Le Conseil rappelle que la mairie est déjà propriétaire de la maison contiguë, suite à une délibération du 5 novembre 1959 et par l’acte de vente du 15 septembre 1960. Mais la maison est vendue entre temps à un propriétaire. L’architecte des Monuments Historiques, est conseil, de surcroît, de la nouvelle propriétaire, et ne semble pas enclin à accepter la démolition des maisons, celles-ci « faisant partie d’un ensemble inscrit par Arrêté ministériel de 8 mai 1844 à l’Inventaire des Sites Protégés ». Une négociation difficile en préfecture aboutit à l’idée du maintien de l’ensemble immobilier, la nouvelle propriétaire souhaitant racheter la première bâtisse acquise par la commune et restaurer l’ensemble selon les indications de l’architecte des Monuments Historiques. Il est toujours bien rappelé que la Tour (du Pilori) doit être conservée, même en cas de démolition.
Le Conseil Municipal se rend par défaut à cette proposition, les travaux de restauration prévus rendant à l’ensemble « un caractère architectural qui justifierait son maintien dans le site actuellement déshonoré par son état de vétusté » (délibération du 4 mai 1966). Ne pouvant mener à bien leur projet de mise en valeur complète de l’église Saint-Aubin, les édiles font primer la préoccupation esthétique et patrimoniale. Par délibération du 8 juin 1966, la commune accepte de vendre à Mme Vincent-Valette, la nouvelle propriétaire, la première maison achetée « sous condition de la réalisation, dans un délai à déterminer, des travaux de restauration prévus au cours des pourparlers ».
Nouveau rebondissement, Mme Vincent-Valette demande à ce qu’il ne soit pas tenu compte de son engagement d’achat et de travaux si la municipalité venait à trouver un autre acquéreur. La municipalité vend à un conseiller municipal, M Jack HUET, la première maison acquise (délibération du 28 décembre 1966), ce qui lui permet … de financer la création de son terrain de camping actuel en bordure du Loir. L’époque est aux ventes puisque le projet de cession du grand presbytère apparait dans une délibération du 21 août 1968. Une délibération du 26 mars 1969 indique que la vente de l’immeuble communal Place de l’église a été différée de quelques mois, « en raison de l’impossibilité où s’est trouvé la commune de libérer un logement occupé par des locataires ». La vente peut alors s’effectuer, M Huet maintenant son offre d’acquisition du bien.
Il semble qu’entre-temps M HUET ait pu également acquérir la seconde maison puisque, nouveau retournement de situation, la délibération du 11 juin 1971 annonce l’acquisition des maisons de Mme Chantal HUET, Place de l’église, en vue de démolition, agrandissement, aménagement de ladite place. L’ensemble des immeubles, « y compris le fond de brocanteurs » est acquis pour 75 000 F. Une demande d’autorisation est effectuée auprès de l’autorité de tutelle et de l’architecte des Monuments Historiques qui émet cette fois-ci un avis favorable. Emprunt, travaux préliminaires de voirie, réalisation d’un plan topographique de la Place de l’église par le cabinet de géomètre Loiseau à La Flèche sont décidés (délibérations des 29 octobre, 17 décembre 1971, 8 février 1972) avant que la démolition des maisons ne soit confiée, par délibération du 8 février 1972, à l’entreprise de travaux public COUDERAT de Baugé.
En juin 2023, heureuse surprise, ont été découverts parmi les nombreux graffitis non encore étudiés
des embrasures en tuffeau des graffitis dits « de Marine de Loir(e) » comme il en existe au château
de Chambord (confère : Françoise de PERSON, Les graffiti de bateaux de Chambord), au château de
Durtal ou dans le clocher et son escalier d’accès de l’église de Fougeré ( confère : André BOYER , A
plaisir et à gré le vent ). Vingt-sept graffiti de bateaux de Loire avaient été relevés dans l’ensemble de
Chambord dans l’inventaire initial. La Tour du pilori ne déroge pas avec au plusieurs graffiti, dont un
représentant trois mâtures.La restauration habile de la Tour n’a pas effacé (comme c’est hélas probablement le cas dans l’église
proche, lors de la restauration du début du XXème siècle) les dessins et pour qui habitue son œil aux
traits, sait ne pas retenir les surcharges d’autres graffiti et bénéficie d’une lumière favorable, ces
témoignages fragiles sont chargés d’une singulière émotion, au-delà de leur valeur historique.
Ces dessins spontanés gravés souvent maladroitement sur la pierre, expression directe et clandestine
d’un art populaire témoignent de la grande proximité d’un « chemin qui marche », la rivière du Loir
qui fut encore fort naviguée jusqu’en fin du XIXème siècle. Les graffiti de la Tour du Pilori nous
ouvrent à une dimension oubliée de Bazouges sur le Loir, celle d’un bourg habitué à voir passer
gabares, chalands et toues sur ses rives, sans pont pour gêner les matures, avec une porte marinière
qui permet de déhaler les chalands, une fois les grandes aiguilles retirées. Si la légende est vérifiée,
les nefs de Jérôme Le Royer de la Dauversière, parti de Port-Luneau à La Flèche, croisant sur Loir,
puis la Loire pour gagner les rives de l’océan et fonder Montréal au Canada sont passés à une demi-
encablure de la Tour du Pilori en 1641.
Les formes de coques relevées, sans tableau arrière droit, évoquent plus certainement les bateaux du
XVIIème et du XVIIIème siècle et pourraient être contemporaines de cet évènement. La configuration
actuelle autour de la Tour cèle un passé riverain et marinier beaucoup plus affirmé. En effet, les
recherches de Gérard d’Ambrières publiées dans Le Bourg de Bazouges au XVIème siècle attestent
que le ruisseau frontière entre deux sénéchaussées du Maine et d’Anjou, La Daufardière, qui
alimente peut-être encore le puit adossé à la Tour du Pilori passait à son pied dans l’actuelle rue du
Château et se déversait probablement par la ruelle en face du portail roman de l’Eglise Saint Aubin.
Trop large pour n’être qu’un passage de charrette, cette ruelle, sur sa bordure ouest devait recevoir
le cours du ruisseau. Des délibérations municipales fin XIXème attestent que le ruisseau encore libre
au XVIème siècle sur l’ensemble de son cours, passait encore en surface à proximité du mur de
clôture de l’ancien presbytère et contribuait encore à des inondations du centre bourg (Délibération
du 13 février 1881 du Conseil Municipal de Bazouges, portant sur la pose d’une bonde sur le ruisseau
de la Daufardière ). Il est encore possible qu’il passe désormais en cours souterrain dans un dalot et
soit prolongé, à son issue, dans le cours du Loir comme ce fut le cas du ruisseau de la rue du Port.
Au XVIème siècle, Il se jetait alors, entre la maison à l’est de la ruelle relevant, face au portail de
l’église, du fief de la Cure, puis en descendant à travers le jardin se jetait dans un port oublié de
Bazouges, le Port Fauveau. « Un chemin la bordait qui faisait la limite avec le fief de Verrières et
menait de la rue Basse au Loir, à l’emplacement du « Port Fauveau », écrit Gérard d’Ambrières. La
maison de l’est de la ruelle comporte encore un évidement à l’angle pour faciliter le passage des
charrettes contrairement à celle à l’ouest, là où devait s’écouler le ruisseau. Ce passage se devait
d’être public pour accéder au Port Fauveau.
Cette recherche d’histoire topographique adossée aux travaux de Sébastien de la Bouillerie, du Dr
René Buquin et de Gérard d’Ambrières dessine à travers les temps le paysage de naissance de la Tour
du pilori et brosse son lien avec le Loir :
– Le pilori des seigneurs de la Barbée à ses côtés qui ne change pas d’emplacement,
contrairement à celui des seigneurs de Bazouges, déplacé de la fourche de la rue Basse au
Carrefour des Trois Croix, rue Haute, actuelle rue du Maine.
– L’église en toute proximité qui ne comportait pas les marches actuelles datant de la toute fin
du XIXème siècle (après 1897) : le portail était de plein pied et Saint aubin était entouré de
son cimetière sur l’actuelle Place de l’église.
– Le ruisseau de la Daufardière, frontière juridique d’importance entre deux sénéchaussées du
Maine et de l’Anjou et « qui fait la disparcion de la chatellenie de La Flèche et de Durtal »
(Gérard d’Ambrières), passait sur son flanc sud et le laissait à l’est du bourg. Il joignait ses
eaux aux débordements du Loir qui pouvaient atteindre le pied de l’église.
– Surtout, en toute proximité de la Tour, un chemin bordé par la Daufardière menait à un port
de Bazouges, disparu dans les mémoires locales, le « Port Fauveau » : une ouverture
publique sur la rivière, un cheminement d’une centaine de mètres, cinquante toises qui
permettait aux habitants non riverains, d’accéder à la rivière et aux bateaux qui la
parcouraient à une époque, faut-il le rappeler, où nul pont ne permettait d’offrir une vue sur
le Loir. Les mariniers et hâleurs, en sens inverse, accostaient au port Fauveau, remontait la
berge (le conseil municipal de Bazouges du 30 mai 1909 utilise le terme de « grand abord »)
et pouvaient embouquer le chemin pour gagner le cœur du bourg, l’église et les tavernes, les
cabarets à pot et à pinte ou à pot et assiette ; les particuliers pouvaient en outre loger les
mariniers et leur débiter du vin de leur crû, celui des coteaux de Bazouges étant fort réputé.
Au début du XXème siècle, au moins quatre marchands de vin côtoyaient encore la Tour du
pilori (et l’église) ainsi qu’en atteste les « bouchons », les rameaux d’arbre qui servaient alors
d’enseigne.
Marinier ou habitant nostalgique du bourg, il est impossible de savoir qui et combien de mains ont
gravé les graffiti de la Tour du Pilori entre le XVIème et le XVIIIème siècle, en gravissant l’escalier de
la Tour : mais cette œuvre rare témoigne d’une vie marinière de Bazouges qui s’est effacée des
mémoires avec la disparition de la navigation lié tant à l’arrivée du train qu’aux divers obstacles
(barrages, ponts…) venus entraver le cours du Loir.
Mais cet intérêt pour la navigabilité a perduré fort tard : le conseil municipal de Bazouges, dans une
délibération du 4 décembre 1898, émet un vœu en faveur de la Loire navigable, estimant que les
chemins de fer ne suffisent pas aux besoins et nécessités du commerce, de l’industrie et de
l’agriculture et aux échanges induits. Il insiste pour qu’une voie navigable Nantes-Orléans soit établie
répondant aux exigences actuelles des transports fluviaux et servant de trait d’union entre les voies
navigables existant déjà dans le bassin de la Loire, claire référence à la navigabilité du Loir. Bataille
perdue en 1957 avec la fin du Loir navigable sur soin cours aval.
Cette découverte de graffiti de bateaux peut conduire à d’autres décèlements aux bourgs de
Bazouges et de Cré ; elle peut réveiller le souvenir du passé marinier endormi de Bazouges et faire en
sorte de moins tourner le dos au Loir, moins passager. Elle réveille au premier chef la poésie de ces
temps révolus avec la fin de la navigation sur le Loir.
En 1863, l’historien, philosophe et future Académicien Français Hippolyte Taine témoigne, après les
poètes de la Pléiade, de la douceur du Loir lors de ses deux passages à La Flèche en tant que
recruteur de Saint Cyr en 1863 et 1865. Son après-midi en bateau sur le Loir, en 1865, par
configuration de la rivière, le conduit probablement vers les méandres de Cré et de Bazouges.
(1863 ) « Ici sur le Loir, commencent les paysages de Touraine, le sourire voluptueux, la tiède caresse
du climat tant aimé des Valois, les rivières tranquilles, si lentes sur leur sable, épandues, dormantes
entre leurs herbes, avec des tortillons et des frétillements dans les remous. La rivière s’étale vers le
pont, près d’un haut moulin qui a l’air d’une tour […] A la Flèche, le paysage est flamand, avec un
autre soleil. Dans une plaine basse, unie, une rivière trainante, avec des îles ; partout la prairie et des
haies dispersées de peupliers. L’hiver, elle déborde. […] J’ai passé deux soirées assis sur une poutre
en face du port. […] Impossible de rendre la grâce, le calme, la douceur charmante de ce paysage. Il
faudrait ici un Descamps ou un Corot. Le ciel est ouvert et en courbe douce comme une coquille
nacrée, luisante ; la large nappe d’eau renvoie sa lumière ; les deux clartés qui se rencontrent nagent
indistinctement dans la brume délicate qui transpire. Cela fait un voile aérien, transparent, qui
amollit tous les contours ; les arbres légers, les peupliers lointains deviennent vaporeux, on dirait des
ombres heureuses qui flottent entre l’Etre et le Néant, mollement, amoureusement, aussi promptes
à s’évanouir qu’à reparaître. »
(1865) La Flèche. « Après-midi en bateau sur le Loir. Tout est vert et regorge d’herbes ; le lit de la
rivière est plein de plantes aquatiques, roseaux, nénuphars, joncs-poignards, joncs à panaches […]
tout l’horizon est une grande coupe plate de verdure. La rivière verdâtre s’y allonge et s’y étale,
tournoyant à pleins bords ; elle déborde en petites douves, en longues percées sur les flancs et
abreuve plantureusement la riche terre fécondante. […] Parfois à l’horizon, entre les cimes vertes
immobiles des peupliers, un pan de ciel violacé, presque noir, fait ressortir plus vivement la jeunesse
et la fraicheur des verdures illuminées. L’averse vient et la rivière semble bouillir sous les grosses
gouttes de pluie innombrables […]
Hippolyte TAINE
Notes sur la province
Bibliographie des ouvrages cités :
Sébastien de la BOUILLERIE : Bazouges-sur-le Loir Son église et ses fiefs, Mamers, 1884.
René BUQUIN : Son église, son château Imprimerie Besnier, La Flèche, 1958
André BOYER : A plaisir et à gré le vent », Graffiti de marine de Loire, Edition Art et Découverte,
49730 Montsoreau, 1990.
Françoise de PERSON, photographies de Pierre Aucante : Les graffiti de bateaux de Chambord, une
invitation à la navigation, s.d., Editions la Salicaire. ISBN 978-2-953315-2-3.
Gérard d’AMBRIERES : Le bourg de Bazouges au XVIème siècle, La Province du Maine, 1992.
TAINE Hyppolite : Carnets de Voyage, Notes sur la province, 1863-1865, Hachette, 1897.
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